Futur proche
Démocratie : une proposition de Daniel Cueff,
l’Assemblée de Bretagne une nouvelle aventure démocratique
redonner la parole aux bretons, pour une économie partagée et collaborative du futur
Futur proche, l’émission des entretiens avec les acteurs du futur.
Proche dans le temps : une histoire qui est en train de s’écrire qui aura un impact pour nous et certainement sur les générations à venir.
Proche de la réalité des hommes et des femmes qui cherchent des solutions applicables, réalisables aujourd’hui ou dans un futur proche, concrètes même si cela n’exclut pas une part d’utopie.
Évelyne Ollivier : Daniel Cueff, merci de nous accueillir au sein de la Région Bretagne
Vous êtes Maire de Langouet, Conseiller régional de Bretagne, chargé de l’écologie urbaine et du foncier. Vous présidez depuis 2010 l’Établissement Public Foncier de Bretagne. vous venez de publier un livre intitulé « la Bretagne, un horizon démocratique pour notre république ». Quelles ont été vos motivations pour écrire ce livre ? Quel message avez-vous souhaité faire passer ?
Daniel Cueff
Une difficulté démocratique : un taux d’abstention de plus de 60 %.
C’est d’abord de s’apercevoir d’une vraie difficulté démocratique, c’est qu’aujourd’hui un citoyen breton vote beaucoup pour les élections municipales et au fur et mesure où l’on s’éloigne de ce qu’il peut s’approprier dans sa vie ordinaire, dans sa vie quotidienne, il s’abstient à des taux d’abstention très importants, c’est-à-dire si on compte ceux qui ne viennent pas voter et ceux qui ne sont même pas inscrits sur les listes électorales on obtient des chiffres de plus de 60 %. Donc une démocratie dans laquelle les gens ne votent pas pose problème. Qu’est ce qui pose problème, c’est il y a un certain nombre de structures qui se sont empilées au fur et à mesure du temps, toujours pour de bonnes raisons, qui décident de votre vie à vous ordinaire, de votre vie de tous les jours, qui fait que là aussi vos impôts sont affectés ou pas affectés, et la plupart des Bretons ne savent même pas que ces organismes existent et ils sont pourtant gérés par des élus, quelques fois au 3e et au 4° niveaux.
Donc il n’y a plus d’appropriation démocratique des décisions qui touchent à votre vie ordinaire, ou qui touchent plus largement l’avenir de la Bretagne, voire l’avenir de la Bretagne dans la France, voire l’avenir de La France dans le monde et donc face à des problématiques climatiques en particulier et économiques. Donc, Il y a là quelque chose qui est grave, puisqu’on a l’impression de se retrouver devant une société dans laquelle le mot inéluctable est le mot le plus employé. C’est inéluctable, la décision qui devait être prise, qui est prise, elle est inéluctable, elle est dans le sens des choses, on ne peut pas faire autrement, donc si on ne peut pas faire autrement à quoi cela sert de voter, à quoi cela sert de faire de la politique, et comme on s’aperçoit aussi qu’il y a une sorte sort de difficulté, puisque que l’on soit de droite ou de gauche, on s’aperçoit que ce sont les mêmes politiques qui sont mises en œuvre. Donc le citoyen il se dit à quoi cela sert d’aller voter si c’est du pareil au même, choses que les extrémistes non démocratiques ne manquent pas de souligner. Le slogan umps est un slogan bien vu du côté de l’extrême droite, car il touche les gens ordinaires qui se disent mais bon sang mais c’est bien sûr, tout cela c’est bonnet blanc et blanc bonne comme l’aurait dit un leader communiste il y a quelques années de cela. Donc c’est un problème démocratique.
C’est le climat qui va décider.
Ce problème est d’autant plus grave que nous allons passer dans une société progressivement, surtout nos enfants, une société, où c’est le climat qui va décider. On n’est plus dans l’ère industrielle, où c’étaient les hommes qui décidaient de faire du capitalisme, d’exploiter l’homme par l’homme, de détruire la nature, là non, c’est le climat qui va donner les conditions, c’est l’eau qui monte, c’est des événements climatiques très importants, très fréquents, qui vont faire que nous allons nous retrouver en situation de devoir nous adapter à ces événements climatiques, qui vont avoir des conséquences tout à fait importantes, sur les matières premières, sur les végétaux, sur le trait de côte, sur le climat lui-même, la chaleur, le grand froid…
La démocratie en difficulté devant les comités d’experts.
Face à cela vous avez un courant qui est porté assez fortement aujourd’hui par les écologistes, mais qui aussi est un courant que l’on voit traverser l’ensemble des partis politiques, c’est que face à cette difficulté-là, on ne peut pas laisser la gouvernance à la démocratie, il faut que ce soit des comités d’experts qui conscients des problèmes gèrent en définitive ces difficultés. Parce que La démocratie elle est un peu une démocratie au jour le jour, vous allez vous présenter devant des électeurs pour leur faire des propositions à 6 ans au mieux alors que les problèmes de la planète sont à 10, 15, 20, 30 ans voire plus, voire des choses qui dépassent même notre propre existence. Donc la démocratie est en difficulté, elle est en difficulté objective parce qu’aujourd’hui il y a des tas de dispositifs qui décident pour nous sans que le citoyen ait à en prendre part, et d’autre part il y a une tendance à dire on ne peut pas laisser à la démocratie, au citoyen, le choix de décider parce que ces choses-là le dépassent parce que c’est le climat aujourd’hui qui est le véritable commanditaire de nos vies.
Impliquer beaucoup plus le citoyen dans la gouvernance démocratique.
Il faut donc que l’on réinvente la démocratie, et on ne peut pas réinventer la démocratie en disant, voilà le programme que je vous propose, votez pour moi. On est obligé d’impliquer le citoyen beaucoup plus dans cette gouvernance démocratique. Alors il y a bien eu des tentatives, des tentatives de démocratie participative, la démocratie participative, voilà on participe… On donne son avis, cela a donné des choses intéressantes, mais extrêmement limitées, parce que chacun vient un peu avec ses problématiques, – je suis handicapé, on ne fait rien pour moi, je suis chômeur, on ne fait rien pour moi, je suis paysan, on ne fait rien pou moi…, c’est une somme de… – et cette démocratie participative elle est assez conservatrice, parce que les gens ont un certain nombre d’idées, effectivement, mais ce sont des idées qui sont trimbalées, par la presse, les médias, la vie ordinaire, par les discussions dans la famille… on ne peut pas inventer un système, on ne peut pas inventer une proposition dont on a aucune idée, dont on n’a jamais entendu parler. Si je vous demande aujourd’hui de m’inventer une idée, de sortir une idée dont vous n’avez jamais entendu parler vous ne le pourrez pas. Donc cela implique que cela n’est pas la somme des individus qui doivent réfléchir ou donner leur point de vue sur les solutions qu’ils ont à apporter à la société, mais vraiment une démarche collective, donc démocratique d’implication citoyenne, vers des solutions qui vont devoir être présentées pour résoudre des problèmes qui vont s’imposer à nous.
É.O. : Cela veut dire que vous travaillez vers une notion d’économie partagée, collaborative du futur au travers de l’écologie ?
Daniel Cueff
Face à l’urgence, et aux difficultés qui vont nous tomber dessus, une implication citoyenne très forte sur le plan économique, social, politique, environnemental.
Je suis un vieux militant de l’écologie, donc j’ai passé une partie de ma vie à dire, voilà ce qui va se passer et ce qui va se passer est en train de se passer va arriver, donc c’est assez désespérant, c’est-à-dire que les écologistes avaient raison, mais c’était pas entendable, parce que c’était anxiogène, parce que l’on ne veut pas voir la réalité en face, cela demande de revenir sur sa vie de tous les jours, de la modifier… donc évidemment ce n’est pas le tout d’avoir conscience de quelque chose pour transformer les réalités, c’est pas parce que vous savez que fumer tue, que vous arrêtez nécessairement de fumer, pourtant vous le savez très bien.
La prise de conscience n’est pas forcément la modification de sa propre vie, ni même la modification de ses choix politiques. Donc, il faut travailler véritablement sur d’autres perspectives. Donc on y est maintenant dans cette difficulté, et ma crainte là encore c’est que face à ces difficultés qui sont de plus en plus conscientisées, mais surtout qui vont nous tomber dessus, il ne faut pas que les courants antidémocratiques l’emportent en disant vous savez c’est plus fort que nous, vous n’y pouvez rien, laissez-nous décider, parce que nous nous sommes des experts du climat, nous sommes des experts de l’économie, nous sommes les experts de ceci et de cela. Donc c’est l’inverse qu’il faut faire, face à la difficulté, il faut une implication citoyenne très forte que ce soit sur le plan économique, social, politique, environnemental.
É.O. : effectivement on retrouve ces éléments-là, dans l’économie, au niveau des entreprises, c’est une nouvelle forme de gouvernance, donc j’imagine que vous appelez de vos vœux cette nouvelle forme de gouvernance dans la façon d’appréhender les choses ?
Daniel Cueff
Le monde économique va devoir affronter des difficultés d’accès à la ressource
qui vont l’amener à changer ses modes de management et sa relation aux hommes et à la planète.
Moi je crois que les entreprises sont cyniques et qu’elles ont une nécessité de survivre et que c’est cela leur moteur. Je ne crois pas trop, à une empathie tout d’un coup extrêmement importante des entreprises pour la planète, ou l’économie, je ne crois pas, je ne crois pas en cela, je crois qu’au contraire, ils sont devant une prise de conscience que la matière première cela va être compliqué, que si on voit qu’un état totalitaire comme la Chine, déjà décide qu’il y a un pourcentage important de la matière première qui ne partira pas de son territoire c’est déjà qu’elle a conscience, qu’elle achète ou tente d’acheter du foncier partout dans le monde, parce qu’elle sait très bien qu’il va y avoir à un moment donné des difficultés pour nourrir sa propre population, qu’il y a des difficultés énergétiques qui vont se présenter. Ce sont ces difficultés-là que le monde économique va devoir affronter, et ce sont ces difficultés-là qui vont l’amener à modifier leurs relations aux hommes et à la planète.
Le politique doit accompagner et encourager la métamorphose parce qu’elle sert la planète et l’individu
Passer d’une économie autoritaire à une économie circulaire en prise avec son territoire.
C’est cela qu’il faut que nous accompagnons nous politiques, c’est cette transformation, cette métamorphose qu’il faut que nous encouragions parce que pour le coup, elle sert la planète et l’individu. Mais c’est par uniquement la matière première, pas uniquement l’énergie, ce n’est pas une question de process, c’est aussi une question de relation de l’individu à l’entreprise, parce que l’on sait aussi que la force d’une entreprise, c’est sa capacité à être performante sur le plan du management, et qu’aujourd’hui nous avons un management autoritaire, pyramidal, qui consiste à contrôler les gens, qui consiste à les mettre dans des tâches segmentées, or l’économie de demain, l’économie circulaire, l’économie en prise avec son territoire parce qu’elle prend en compte l’ensemble des données, prendra aussi en compte le fait que l’individu est nécessairement une force qui apporte un certain nombre de singularités à la démarche de l’entreprise. Donc on a du boulot en France, en particulièrement parce qu’on est encore dans une démarche extrêmement pyramidale qui fait qu’aujourd’hui une majorité de Français ne veulent plus aller travailler, où espèrent ne plus aller travailler ou ne souhaitent plus aller travailler ou en tous les cas que ce n’est pas quelque chose qui vraiment les attire beaucoup.
É.O. : Ce qui veut dire que la Région Bretagne et l’ensemble des Régions, ont une autre vision d’organisation pour elles-mêmes ne serait-ce que par rapport à l’État qui est lui aussi est organisé d’une manière pyramidale, vous avez une proposition que ferait que les choses aillent dans un autre sens ?
Daniel Cueff
l’Assemblée de Bretagne, véritable outil d’efficience sociale et économique.
Face à la technocratie qui fait « flop » redonnons aux citoyens, aux entreprises, la possibilité de s’approprier le devenir de leur territoire par l’appropriation démocratique.
Oui on voit bien aujourd’hui que l’état est en difficulté, c’est-à-dire que le gouvernement de l’état est en difficulté, c’est-à-dire dès qu’il propose quelque chose, cela fait flop. Ici on a eu le cas des portiques, ici on propose quelque chose, qui semble tout à fait raisonnable en tout cas sur l’idée, de trouver une taxe qui permet de travailler sur le ferroutage… simplement cela ne correspond pas à des réalités ici en Bretagne et cela fait un flop terrible et c’est que tout le temps cela, c’est-à-dire que l’on a une décision qui est pondue quelque part pour des raisons…, et arrivée sur le terrain cela fait flop. Cela fait flop pourquoi parce qu’on n’a pas eu une appropriation démocratique, une appropriation de discussions, on a simplement une technocratie qui s’impose aux gens, cela ne peut plus marcher. Donc l’État est en panne, l’état n’arrive à rien, l’État ne réussit rien, l’État fait toujours la même chose et cela échoue tout le temps, donc l’idée un peu mécanique, naturelle c’est dire… mais redonnons une place au territoire, donnons une possibilité aux citoyens, aux entreprises d’un territoire de s’approprier le devenir de ce territoire. Cela peut être à double tranchant, cela peut être un abandon de l’État, et on voit aussi un certain nombre de courants que je combattrai jusqu’à la fin de mes jours, en Bretagne qui aspirent très fortement à une Assemblée de Bretagne, comme moi mais pas pour les mêmes raisons, qui souhaiteraient que cette Assemblée de Bretagne soit une zone franche, franche de toute règle sociale, de toute règle environnementale, voilà on s’affranchit de tout ce qui est en définitive un progrès social. Il faut faire très attention, le fait de vouloir une Assemblée de Bretagne parce que c’est quelque chose qui va s’approprier démocratiquement par les gens, de mon point de vue, n’empêchera le débat politique d’avoir lieu sévèrement à l’intérieur de cette Assemblée de Bretagne qui n’est pas une solution mais un outil à plus de démocratie et à plus d’efficience sociale et économique.
É.O : et dans cette Assemblée de Bretagne, j’imagine que vous allez privilégier une économie plus orientée sur l’économie circulaire dont vous parliez tout à l’heure, vous pourriez développer sur ce que vous avez envie de faire par rapport à cela ?
Daniel Cueff
L’Économie circulaire à impact positif, c’est vous qui allez la mettre en œuvre à condition d’être dans un rapport éthique, social et écologique. L’accompagnement se fera en second degré.
Je ne crois plus, je ne crois pas si vous voulez à une région qui développerait une logique pyramidale, dans un service de la Région qui dirait voilà l’économie circulaire c’est comme cela, l’économie de demain, c’est comme cela, cela va devenir ceci, comme cela c’est terminé, on fera flop, il ne s’agit pas de recréer un état breton, de décliner si voulez des choses, ce n’est pas comme cela que cela va se passer, c’est-à-dire qu’il va y avoir des nécessités objectivées, l’absence de matière première, la question de l’énergie qui va poser problème, la question de la compétence des gens, la formation tout cela c’est le tissu social et économique qui va faire des propositions, donc de façon très transversale. Nous devrons accompagner ces entreprises dans leur développement à la condition qu’elles soient dans un rapport éthique, social et écologique. Mais c’est un accompagnement en second degré mais pas en tête de gondoles, ou en tête de désirs et c’est en cela que cela change complètement la donne, ce que nous avons essayé de faire au niveau de la région de façon exploratoire, c’est justement au niveau de l’économie circulaire à impact positif, ce n’est pas essayer de polluer le moins possible, c’est essayer d’avoir une activité économie, sociale qui bénéficie à la planète, qui soit écobénéficiante, quand on développe cela, on s’est bien gardé de dire voilà ce que c’est, on a plutôt essayé de dire qu’est ce que vous en pensez, est que vous avez des idées, on a même été dire en tant que région, on ne sait rien on ne sait absolument pas comment cela peut se passer, le problème c’est que l’on sait que c’est un objectif et c’est vous qui allez le mettre en œuvre.
É.O. : Vous allez donc beaucoup plus vous baser sur l’innovation collaborative, la créativité, la transversalité.
Comment vous inscrivez-vous alors dans la Glaz économie dont on parle beaucoup aujourd’hui en Bretagne ?
Daniel Cueff
Contrairement à l’aspiration de la Glaz économie qui reprend l’économie de la mer, de la terre, l’économie grise qui favorise la transversalité et la créativité, une autre réalité basée sur les filières s’est imposée.
Cette pensée d’État va contrecarrer l’économie circulaire à impact positif.
Il faut absolument revoir ce mode de raisonnement.
La Glaz économique c’est une intuition, une invention du Président Le Drian qui a donné du sens à l’économie en reprenant donc ce nom breton intraduisible en français, qui reprend l’économie de la mer, l’économie de la terre, l’économie grise, l’économie sociale et solidaire donc c’est un mot qui après tout était assez proche de ce que pourrait être une communication pour l’économie circulaire à impact positif, cela donne une espèce de mélange où on voit bien que les secteurs ne sont pas tranchés, que l’on peut communiquer qu’il y a des interfaces et que c’est même sur ces interfaces que seront trouvées probablement, des solutions d’ingénieries, des solutions de process… Après il se trouve qu’au jour d’aujourd’hui ce terme extraordinaire a été dans ces conclusions, de mon point de vue, camoufle une autre réalité qui est plutôt que l’on fonctionne par filière justement, c’est-à-dire contrairement à l’aspiration que pouvait avoir ce mot de Glaz économique, on a la filière automobile, la filière agroalimentaire, la filière des nouvelles technologies, la filière de l’économie sociale et solidaire… donc on fonctionne par silos, exactement ce qu’il ne faut pas faire, exactement ce qu’il ne faut pas faire. Alors cela est dû à tout un tout un tas de mécanismes, justement à l’État qui pense par silos, rappelez-vous les silos de Montebourg, les 16 et je ne sais plus combien, ces silos qui faisaient écho aux silos de l’Union Européenne pour les financements, voilà, donc tant que l’on raisonnera comme cela dans une pensée d’État, on va contrecarrer en définitive, l’économie circulaire à impact positif, on va la contrarier, on va même l’empêcher, donc il faut absolument revenir sur ces façons de voir et de faire et c’est aux élus de se calmer et d’arrêter d’avoir des idées.
É.O. : D’ailleurs c’est ce que défendait Christophe Clergeau*, le 4 novembre dernier lors des rencontres de la DGE, il était a contrario justement de cette forme de silos, que le directeur avait présenté en première partie mais était beaucoup plus pour une notion collaborative au niveau des territoires. Mais vous citiez tout à l’heure quelque chose de très intéressant, c’est l’économie de la mer. On est quand même en Bretagne, on a des côtes et finalement on a l’impression que la Bretagne tourne le dos à la mer. Il y a quand même beaucoup d’espoir autour de ce qu’il peut se pratiquer autour de la mer, il y a tellement de choses à faire, avez-vous quelques atouts pour la Bretagne autour de cet aspect ?
Daniel Cueff
Le projet régionaliste avec de véritables leviers de décision : la complémentarité, la singularité, les particularités à faire partager au monde entier plutôt que la compétition exacerbée.
La Bretagne et l’économie de la mer et de la terre.
Aujourd’hui il y a une organisation de la Région Bretagne et de la République Française qui est organisée de telle manière à faire les flux de transport via Paris, et via un programme routier ou ferroviaire européen. Donc on est dans des logiques qui sont les logiques de la Datar, vieilles logiques de la Datar d’aménagement du territoire. La Datar qui est un organisme d’État, qui pense l’organisation de la France, elle pense en métropoles, elle ne pense pas du tout en termes de région, elle pense en termes de relations entre les métropoles, elle parle même dans ses rapports de métropoles entreprises, c’est-à-dire chaque métropole Rennes, Brest, a des atouts mais aussi des manques, il faut qu’elles rejoignent, qu’elles réduisent ces manques-là pour rentrer dans le concert de la compétition avec les autres métropoles internationales. Donc là nous sommes là dans une logique extrêmement libérale, je dirais même ultralibérale qui est la compétition entre les territoires et à côté de cela, face à cela, vous avez le projet régionaliste, qui dit il n’y a pas de concurrence entre les territoires, mais les territoires doivent apporter des singularités, des particularités qu’ils doivent faire partager au monde entier. Alors évidemment quand on dit cela nous pour la Bretagne, on se dit mais on est au centre du monde presque par rapport au maritime, seulement on le dit, on le constate, il n’y a pas une élection régionale ou nationale, qui dise mais bon sens mais c’est bien sûr, pourquoi regardons-nous passer 20 % du trafic mondial face à nos côtes, que personne ne s’arrête chez nous, pourquoi nous ne commercialisons pas avec le monde entier, alors que le transport maritime est déjà aujourd’hui et sera encore demain le transport le plus écologique qui soit qui nous permet d’être en communication avec la terre entière sans polluer la planète. Mais vous voyez bien que tant que c’est l’état qui pense pour nous, nous, on pourra dire qu’effectivement que c’est comme une sorte d’évidence mais cette évidence elle ne se concrétise pas véritablement, parce que nous n’avons pas les leviers de décision qui nous permettraient de le mettre en place réellement
É.O. : Là nous étions sur le sujet de la mer par rapport au transport, mais en terme économique on peut penser aussi à l’aquaculture, on est dépendant de la Norvège pour nos approvisionnements de saumon, il y a plusieurs expériences au Canada qui sont tout à fait positives, pourquoi la Bretagne ne s’engage-t-elle pas dans ces expériences de façon plus collective entre ceux qui produisent les algues, qu’est qu’on peut faire à ce niveau-là ?
Daniel Cueff
Ce sont les entreprises qui vont reterritorialiser leurs relations à l’économie, au territoire et à leurs clients.
Parce que vous avez une organisation d’état avec des conflits et des rapports de force entre les élus, qui font qu’aujourd’hui par exemple le port de Lorient est le premier port français en termes de poissons frais et de langoustines… mais il n’est pas le premier port en termes de traitement du poisson, il est le deuxième après Boulogne, pourquoi, parce que Boulogne allant chercher son poisson très loin, s’est aperçu que la seule façon qu’il pouvait de rester le premier port français, avec tout ce que cela comporte de façon logistique, c’était de faire une filière de poissons d’élevage, Norvège… Donc Ils ont développé une logistique tout à fait énorme, tout à fait énorme, qui a permis de garantir le fait que même en allant chercher des fois, – les bateaux n’accostent plus, il y a de petits bateaux, de petits containers, qui vont chercher le poisson en mer pour éviter aux bateaux d’accoster -, ils garantissent sur le port de Boulogne, une logistique qui va faire en sorte que le poisson va arriver dans les 72 heures au pire dans toutes les poissonneries. C’est pour cette raison que le saumon breton d’élevage disparaît alors qu’il était bénéficiaire, parce que la logistique d’état s’est transportée à Boulogne, pourquoi parce que le ministre du transport était Maire de Boulogne. C’est cela l’organisation si vous voulez qui est une organisation de compétition entre les territoires, alors que nous pourrions nous en France, en Bretagne, je veux dire, alors que nous avons le transport dédié, le transport frigorifique le plus important de France, travailler sur un autre mode, mais quand on est dans la logique de concurrence, et bien c’est toujours plus de volume, et donc volume le moins cher possible, donc on va toujours rentrer en compétition contre les Allemands qui font du porc beaucoup moins cher que nous parce qu’ils ont anticipé sur la question de l’énergie et que les fermes sont dotées de « machins » – méthaniseurs – voilà, savez-vous qu’à GAD 837 personnes ont été mises au chômage parce que pendant des mois et des mois et des années, on perdait 3,50 euros par kg/porc, c’est 0,0 quelque chose, et avec ce 0,0 quelque chose, vous êtes capable d’aller acheter du porc chinois pour le faire revenir en Bretagne. Donc c’est tout à fait un système aberrant, cela est un système qui est fini, il faut reterritorialiser probablement mais ce n’est pas nous qui allons reterritorialiser, ce sont les entreprises qui vont s’apercevoir qu’elles ont un intérêt économique objectif, qu’elles ne vont plus pouvoir faire autrement que territorialiser leurs relations à l’économie, au territoire et à leurs clients.
Si vous aviez une petite note d’espoir pour terminer cet entretien à nous donner, que nous diriez-vous ?
Daniel Cueff
Une nouvelle aventure démocratique pour redonner de l’espoir.
Donner un cadre pour que l’écologie soit démocratique, que la démocratie s’imprègne de l’écologie.
C’est au citoyen de s’en emparer, par le débat, pour fonder le contenu localement.
L’espoir c’est de travailler sur de nouvelles conditions démocratiques qui impliquent vraiment le citoyen, sinon nous allons arriver dans un société autoritaire, on va contraindre le citoyen à se comporter de telle ou telle manière pour des raisons objectivées de climat… cela n’est plus possible, on ne peut pas faire le choix entre l’écologie et la démocratie, il faut que l’écologie soit démocratique, que la démocratie s’imprègne de l’écologie, donc pour cela il faut que nous créions des cadres, je dis bien des cadres, sans contenu, le contenu c’est au citoyen de le fonder, moi j’ai proposé l’Assemblée de Bretagne, qui est un cadre institutionnel, vous avez vu dans le bouquin que j’évite beaucoup de présenter des solutions toutes faites… je pense qu’il faut que l’on en débatte, je pense qu’il faut faire la démocratie et quand on voit qu’il y a des territoires qui s’emparent de la démocratie, comme cela a été le cas en l’Écosse, la Catalogne, et qui, je ne suis pas d’accord avec l’histoire de l’indépendantisme… ce n’est pas le sujet en Bretagne, je veux dire, mais en tout cas que de débats, que d’avancées, que de solutions locales qui sont proposées, contre des décisions d’État, souvent imbéciles, inadaptées, complètement hors sol. Donc il y a donc beaucoup d’espoir mais il faut que nous arrivions à créer ce cadre d’aventure, d’aventure démocratique.
É.O. : Tout dernier point d’actualité, puisque cette nuit un fait important s’est passé pour les Régions, 13 régions ont été votées, dont de très grandes régions, la Bretagne est restée telle quelle, que pensez-vous de ce vote, de cette évolution et qu’est qu’on peut en attendre pour l’avenir ?
Daniel Cueff
Un espace réel au pouvoir régional en Bretagne.
Pour l’instant, c’est la technocratie qui a gagné, donc la technocratie ne peut pas gagner au final, donc elle va perdre. Le droit d’option peut-il s’appliquer ? Est-ce-que l’on va laisser aux Régions une capacité d’adapter les décisions de la République de façon différenciée, comme le permet la Constitution française ?
Tout d’abord c’est un échec, pour la Bretagne puisque l’aspiration de la Bretagne, des Bretons et de l’Assemblée Régionale et d’une grande majorité des élus de Bretagne, était quand même d’arriver à une Bretagne à cinq départements. Pour des raisons culturelles, pour des raisons économiques, pour des raisons aussi que nous savons que le sentiment d’appartenance, à un pays, à un territoire, à une géographie est aussi sources de solidarité, sources d’économie positive. Donc cela s’est loupé, c’est-à-dire un territoire qui se découpe, un territoire français qui se découpe en régions technocratiques et non démocratiques est un territoire foutu. Donc c’est un échec considérable.
Après, l’histoire n’est pas finie, il y a encore le droit d’option qui est plus ou moins en discussion, est-ce qu’un département pourra oui ou non avoir le choix, la possibilité de choix de rejoindre une autre Région ? Pour l’instant c’est un droit de veto, c’est tellement organisé que c’est impossible. Là encore on contrecarre une aspiration citoyenne, alors que l’on sait très bien que les Bretons comme les habitants de Loire Atlantique aspirent à une Bretagne identifiée culturellement… Donc on refuse au citoyen y compris de s’exprimer par référendum, cela ne va pas le faire, cela ne va pas le faire du tout, si cela pète, il ne faudra pas s’étonner que cela pète, c’est la technocratie qui a gagné, donc la technocratie ne peut pas gagner au final, donc elle va perdre.
Après il y a la loi qui va arriver au mois de Juin qui a des compétences, des compétences qui vont être dévolues aux Régions, là c’est une autre paire de manches. Est-ce-que l’on va laisser aux Régions une capacité d’adapter les décisions de la République de façon différenciée, comme le permet la Constitution française, comme l’a dit Michel Rocard en 1966 quand il est venu à Saint-Brieuc. La France est une et indivisible, mais on ne peut pas gérer la Bretagne avec ses 2700 km de côtes pour la Bretagne administrative, 3000 km pour la Bretagne réelle, comme on gère la Franche-Comté qui n’a pas du tout un trait de côte, tous les problèmes que vous posiez tout à l’heure de maritimité… ils se posent singulièrement en Bretagne. Donc il y a des choses à décider, des choses à adapter même des pouvoirs prescriptifs qui doivent être donnés à la Bretagne pour avoir une République différenciée.
La République différenciée, c’est la modernité, elle était déjà vue par Michel Rocard à l’époque, elle est de nouveau sur la place publique, sauf que là maintenant, on s’aperçoit que l’état étant en panne, n’ayant plus rien à dire, et tout ce qu’il décide cela fait « flop », cela donne un espace réel au pouvoir régional.
*Dans le cadre des 1res rencontres de la DGE (Direction Générale des Entreprises), le 4 novembre dernier à Paris, sur le thème de « Nouvelle politique industrielle et stratégie d’attractivité territoriale » Christophe Clergeau, Vice-Président du Conseil Régional des Pays de Loire, exprimait le point de vue des régions par rapport aux positions gouvernementales : il parlait de « résilience voir de résistance du jacobinisme national » et plaidait pour développer des logiques bottom up transversales de développement adaptées aux réalités locales des régions avec leurs PME qui sont à la base de leur force économique. Il ne souhaite plus parler de filières économiques réservées à la chaîne de valeur des grands donneurs d’ordre industriels (aéronautique, automobile…), mais plutôt de proposer une organisation transversale qui se remodèlerait en permanence pour s’appuyer sur les savoir-faire et les compétences des territoires. Pour lui les clefs de la réussite sont la plasticité, le faire-ensemble, les réseaux, la créativité, la culture, le numérique, le design pour se différencier. Il se situait dans le cadre d’une économie partagée et collaborative du futur.
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